Qui était Caroline Aigle, la première femme pilote de chasse française ? © Yves LE MAO pour l’Armée de l’Air

Qui était Caroline Aigle, la première femme pilote de chasse française ?


Sabine Ortega
| 04/04/2024 | 2345 mots | AEROCONTACT | EMPLOI & CARRIÈRE

Caroline Aigle restera dans l’histoire aéronautique française comme la première femme à avoir décroché le difficile « macaronnage » de pilote de chasse. Un nom prédestiné et une femme digne de rejoindre le Panthéon des gloires de l’aéronautique française : les Védrine, Blériot, Guynemer, Fonck, Nungesser, St Exupéry, Auriol, et tant d’autres. Son itinéraire est celui d'une comète ; bénéficiant d’une personnalité hors normes, elle aura forcé l'admiration jusqu'au bout.  En tant que mère, en tant que femme, en tant que pilote.

Portrait de cette grande dame du ciel qui « va s'en aller comme elle a vécu, à Mach 2 » et entrer dans la légende trop tôt.

Une élève brillante

Fille et sœur de médecins militaires, avec une mère professeur de sciences, Caroline Aigle a toujours voulu se mesurer et gagner.

Issue d'une famille lorraine, elle naît, pourtant à Montauban, le 12 septembre 1974, où son père médecin militaire était en poste au 17e RGP. Ainsi, elle parcourt très jeune une bonne partie de l’Afrique avant de rejoindre, à quatorze ans le lycée militaire de Saint-Cyr où elle reste jusqu'en classe de terminale.

Elle effectue ensuite sa préparation aux grandes écoles scientifiques au Prytanée national militaire de La Flèche où elle sera bonne élève (mathématiques supérieures et mathématiques spéciales M'). Et, en 1994, elle est admise à la fois à l'École polytechnique et à l'École normale supérieure. Elle choisira Polytechnique : « Je n'avais pas un seul instant envisagé d'échouer », avouera-t-elle. Être admise n'est pas encore suffisant. Elle en sortira major de sa promotion, c'est-à-dire la première. Spécialité : la mécanique des fluides.

Sitôt après son entrée à l’X en 1994, elle doit choisir son affectation pour le service militaire : « Caroline se lève dans l’amphi et demande carrément l’infanterie, la reine des batailles. Stupeur dans l’encadrement de l’École. On n’a jamais vu cela. » Ecrira le journaliste J.-D. Merchet dans « Vol brisé ». On lui ordonne de disposer. Qu’à cela ne tienne, elle se rend chez le général qui commande l’École et demande à voir le règlement qui interdit l’infanterie aux femmes. Il n’existe pas. Elle obtient finalement le droit d’aller courir, monter des embuscades, dormir à la belle étoile et tirer à la mitrailleuse, avec les hommes. Elle effectuera son service militaire de 1994 à 1995 au 13e bataillon de chasseurs alpins de Chambéry, section des mortiers lourds.

Durant sa scolarité, elle fait partie de celles qui militent, avec succès, pour que les polytechniciennes puissent porter le bicorne, symbole traditionnel de l'école, qui jusque-là était porté seulement par les élèves masculins. Ses temps libres, elle les passe sur une grosse moto trial, à faire plus de 260 sauts en parachute ou encore de la plongée sous-marine ou bien de la planche à voile.

À l'issue de ses études à l'X, elle décide de servir dans l'Armée de l'air.

En septembre 1997, elle intègre l’Ecole de l’air de Salon-de-Provence et commence sa formation au pilotage en ralliant la « division des vols » qui correspond à la troisième et dernière année de l'École de l'air. Puis, elle se rend à l’École de l’aviation de chasse à Tours où elle apprend la voltige, le vol en formation serrée, le vol de nuit et même le vol avec une bâche opaque sur la verrière de l’avion. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, qui est son moniteur, Christophe Deketelaere (pilote de la patrouille Breitling de Dijon). Mariés le 8 juin 2002, ils auront deux enfants, Marc et Gabriel.

En 1999, elle reçoit son « poignard », c’est la consécration : elle est ainsi la première femme pilote de chasse dans l’armée de l’air avant d’être promue en 2005 commandant d’escadrille. Comme Guynemer, elle choisit la voie des chevaliers du ciel, le combat en vol contre d’autres pilotes, plutôt que le largage de bombes. Puis elle pose ses valises à la base aérienne de Dijon.

Première femme Pilote de Chasse

Le 28 mai 1999, Caroline Aigle est donc brevetée pilote de chasse sur Alpha Jet à la base aérienne 705 de Tours ; elle reçoit son « macaron » des mains du général d'armée aérienne Jean Rannou, chef d'état-major de l'Armée de l'air qui dira d’elle : « Première pilote de chasse, Caroline Aigle incarne les qualités les plus belles de ténacité et d'endurance qui lui permettent d'ouvrir le chemin dans un milieu d'hommes.» En effet, elle vient de faire tomber l'ultime bastion masculin de l'aviation. Des femmes y pilotent déjà des gros, porteurs et des hélicoptères, mais les cockpits des Mirage 2000 leur sont restés interdits jusqu'en 1996.


Caroline Aigle, alors lieutenant, première femme pilote de chasse de l'armée française, pose pour les photographes devant un Mirage 2000 avec les pilotes de sa promotion, en 1999, à l'issue de la cérémonie de consigne de son macaron officiel sur la base aérienne de Tours.

Ainsi, Caroline rejoint ainsi les 340 officiers, 4 300 sous-officiers et 2 100 militaires du rang du personnel féminin de l'armée de l'air. Quatorze pour cent de l'effectif.

En 2000, elle intègre la base aérienne 115 d'Orange dans l'escadron de chasse 2/5 Île-de-France et effectue sa formation sur Mirage 2000. Elle est affectée sur Mirage 2000-5 à l'escadron de chasse 2/2 Côte-d'Or à la BA 102 de Dijon, en 2000. Puis elle devient commandant d'escadrille à partir de 2005 (escadrille SPA 57 Mouette). Elle passera sept ans aux commandes de Mirage avec un total de 1 600 heures de vol.

En septembre 2006, elle est affectée à la « sécurité des vols » du commandement des forces aériennes de la BA 128 de Metz.

Son surnom dans l'Armée de l'air est « Moineau »

Une sportive accomplie

Caroline Aigle est également une sportive accomplie, championne de France militaire de triathlon 1997, championne du monde militaire de triathlon par équipe 1997 et vice-championne du monde militaire de triathlon par équipe 1999. Elle pratique également une autre de ses passions, la chute libre et le parachutisme d'une manière générale.

Une nouvelle course d’obstacles

La jeune femme, désormais aux manettes d’un Mirage, a fort à faire depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui provoquent une multiplication des opérations de surveillance aérienne du territoire. D’ailleurs, elle commence également à préparer le vol spatial auquel elle n’a jamais cessé de songer. Son rêve ? Devenir astronaute. Pour cela, elle s’y emploie activement, cours de russe, cours d’astrophysique, son modèle est Claudie Haigneré, bac +19. Son époux dira : « Déjà titulaire d'un diplôme en astrophysique, elle commençait une thèse sur la caléfaction. Elle apprenait aussi le russe depuis un an et demi. Ses objectifs étaient : le concours d'entrée au Collège interarmées de défense et une future sélection dans le corps des spationautes européens. »

Ainsi, elle prend contact avec la ministre, qui l’assure de son soutien. « Caroline mesure parfaitement dans quelle nouvelle course d’obstacles elle s’engage. Six à huit mois de sélection. Des tests médicaux à n’en plus finir, des épreuves physiques qui ressemblent parfois à de la torture, des entretiens psychologiques, etc. Repartir de zéro, comme le jour où elle a décidé de devenir pilote de chasse », écrira J.-D. Merchet dans sa biographie sur Caroline Aigle « Vol brisé ».

Car, c’est à ce moment que la trajectoire supersonique de Caroline se brise, fauchée en plein vol. Lors de sa seconde grossesse, elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer. Elle choisit de poursuivre cette grossesse, malgré le risque médical. Son deuxième fils naît avant terme. Elle meurt le 21 août 2007, âgée de trente-deux ans. Interrogé par RTL, son mari, Christophe Deketelaere, pilote dans la patrouille Breitling, raconte : « Elle ne pouvait pas arrêter la vie d'un être qu'elle avait porté pendant cinq mois. Elle disait : Il a droit à ses chances comme moi. »

Sa dernière participation à un événement a lieu en mai 2007, elle est la marraine du meeting aérien Airexpo à Toulouse.

 « Tout va si vite, à peine le temps d’en profiter », a écrit un jour l’aventurière à propos de l’une de ses virées aériennes.  De même, son passage sur Terre n’aura duré qu’un bref émerveillement.

Décorations et hommages

En 2005, elle reçoit la Médaille d'or de la Défense nationale.

Caroline Aigle est décorée de la médaille de l'Aéronautique à titre posthume par le président de la République, Nicolas Sarkozy, le 2 octobre 2007.

Le 29 septembre 2018, le Prytanée national militaire a nommé la promotion 2018 « Commandant-Caroline-Aigle » ; les élèves ont créé pour l'occasion un chant en hommage à celle qui les avait précédés.

Le 1er octobre 2018, les 115 nouveaux cadres administratifs civils du ministère des Armées réunis pour la première fois en promotion de nouveaux arrivants, prennent le nom de « Promotion Commandant Caroline Aigle ».

La promotion 2018 de l'École de l'air est baptisée en son honneur le vendredi 5 juillet 2019.

Plusieurs établissements scolaires portent le nom de Caroline Aigle : une école à Verdun, une autre à Mondonville et le nouveau groupe scolaire construit à Palaiseau dans le quartier Camille Claudel, proche de l'École polytechnique ; son nom est également donné au lycée public de Nort-sur-Erdre, qui a ouvert ses portes en septembre 2020 ainsi qu’ à un collège de Strasbourg en 2021 et à un autre collège de Cergy. L'une des maternelles du Chesnay-Rocquencourt porte son nom depuis 2021 ainsi que le nouveau collège de Lançon-Provence ouvert en septembre 2022.

La maison des polytechniciens a nommé un salon en son honneur et L’École Polytechnique a nommé un hall, également, en son honneur.

Un timbre imaginé par la Poste reprend le portrait du commandant Aigle sut fond de Mirage 2000-5 sur lequel elle a volé. La mini-feuille Caroline Aigle Poste aérienne, appose également un moineau, allusion à son surnom, et les insignes des écoles, bataillons et escadrons qui ont jalonné sa carrière trop tôt achevée sur la base aérienne 128 de Metz.

Enfin, une bande dessinée rend hommage à la première femme macaronée pilote de chasse en escadron de combat dans l’Armée de l’Air : la regrettée Caroline Aigle.

BD. « Caroline Aigle – Première femme pilote de chasse en escadron de combat. » Auteurs Jean-François Vivier (texte), Francesco Rizzato (illustration). Éditions Plein Vent.


 

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